De toutes les légendes qui voguent sur la lande,
il en est une qui ne se raconte qu’à mi-voix :
celle de " la malédiction du héron cendré ".
Tout se passait il y a fort longtemps, en 835 très exactement, quand les châteaux étaient encore habités par de vraies princesses.
Ces filles de roi s’ennuyaient souvent. L’une d’elles, Guenièvre, plus que toute autre. Les troubadours s’épuisaient à la distraire de sa mélancolie. Rien n’y faisait, elle restait des heures accoudée à sa fenêtre, scrutant l’horizon, l’âme en peine.
- Quand viendras-tu, mon beau Prince m’enlever à ce triste sort ?
Elle soupirait du matin au soir. Son père qui était un bon roi, fit venir, les mages les plus célèbres des alentours. Pas un seul ne trouva de remèdes. Certains y voyaient une fièvre des marais, d’autres encore préconisaient une saignée. Un dernier, plus fou que tous les autres, certifia qu’en la plongeant dans l’eau glacée du lac, et en la frictionnant comme on bouchonne un cheval, ferait disparaitre cette " fièvre d’amour ". …
Le mot était lâché : la princesse souffrait du " mal d’amour ", tout simplement. Ce mal terrible qui sévissait dans toutes les cours connues bien au-delà des frontières et plus particulièrement dans celle de Bretagne, d’après les dires des troubadours, nomades amuseurs. Toutes leurs chansons, tous leurs poèmes ne parlaient de ce ça. Ce mal qui se propageait partout, atteignait même parfois, les filles des ducs et même des comtes. Seules les paysannes, de plus forte constitution, semblaient épargnées par cette malédiction.
Les symptômes étaient toujours les mêmes, les jeunes filles se languissaient jour et nuit, attendant la venue probable d’un quelconque chevalier aimant. Du haut de la plus haute tour, elles fixaient l’horizon avec au cœur, l’immense espoir de voir un jour, poindre un beau cavalier en armure d’or, sur son cheval blanc.
Guenièvre était dans cet état, et son père désespérait d’une prochaine guérison, lorsqu’un vent froid souffla en tempête au dessus du château. La princesse gelée, finit par se laisser convaincre de rentrer. Une servante lui prépara une bouillotte chaude et l’aida à se coucher. Le lit pourtant si douillet, recouvert de couettes de plumes d’oie, les plus douces et chaudes qu’il puisse exister, ne suffisaient à réchauffer la princesse.
Le roi affolé alla quérir le médecin du village. Il était compétent aux dires de chacun. Le médecin arriva dans la soirée au chevet de la princesse…Tous furent surpris de sa jeunesse…Les médecins étaient d’ordinaire vieux et tout fripés, ils portaient robes noires et chapeaux pointus !
Qui était donc ce médecin là ?
Il se présenta au Roi :
- Sire je suis Ewan, druide pour vous servir !
Le roi s’étonna lui aussi de sa grande jeunesse, mais s’il pouvait guérir sa fille chérie, la cause était entendue !
Le Roi, accompagna lui-même Ewan au chevet de Guenièvre…Intrigué, il tenta quelques questions qui restèrent évasives, tout autant que les réponses.
Il apprit néanmoins qu’Ewan, neveu de Convoyon, moine du pays de Roton, saint homme réputé pour son caractère inflexible. Ils venaient tous deux de Vannes et cherchant leur chemin, ils escaladèrent une colline au joli nom de " Beaumont ". Arrivés au sommet, ils virent avec stupéfaction, une croix lumineuse descendre du ciel et venir se planter dans le sol. Convoyon, comprenant l’augure, décida de construire une abbaye à cet endroit précis.
Installé là depuis quelques mois, Ewan, apprit par les gens du village, que la princesse voisine, souffrait d’un mal mystérieux. Il dit encore qu’il avait traversé les marais sauvages et brumeux, les forêts épaisses et sombres pour se rendre au château.
Le roi, n’en su pas plus, ils franchissaient déjà le seuil de la chambre princière.
Ewan, eut un éblouissement en voyant la douce Guenièvre. Le ciel venait de lui tendre un piège, il tombait amoureux, se glissait dans ce merveilleux délice dont personne jamais ne pourrait l’en guérir.
- Laissez- moi, maintenant Sire, que je fasse mon œuvre !
Le roi se retira, un peu inquiet de laisser cet inconnu seul avec la princesse.
- Ne revenez que demain ….Votre fille sera sauvée !
Le roi s’exécuta prestement.
Ewan, poussa le verrou et revint vers le lit de la princesse, il ôta ses bottes et se glissa dans le lit. Il prit Guenièvre dans ses bras et la berça doucement. La chaleur de son corps réchauffait la jeune fille, elle se blottit tout contre lui. Et ils restèrent ainsi jusqu’à l’aurore.
Au petit matin Guenièvre, en ouvrant les yeux, découvrit auprès d’elle ce beau jeune homme qui venait de lui sauver la vie et en tomba éperdument amoureuse.
Ewan remit ses bottes, la princesse de l’ordre dans ses cheveux, puis ils sortirent main dans la main. La cour qui attendait toute la nuit dans l’entre chambre comprit tout de suite ce qui se passait. Le roi, les traits tirés, mais heureux de voir sa fille guérit, s’écria :
- Dieu soit loué, jeune homme, vous avez sauvé ma fille….Que voulez vous en échange ?
Ewan, regarda la princesse en souriant, elle répondit à son sourire, et la cour stupéfaite l’entendit répondre :
- La main de ma bien aimée, votre fille, Sire.
Le roi s’étrangla de fureur, soufflant, rougissant et tempêtant :
- Il n’en est pas question, que l’on chasse ce mécréant de mon royaume.
La princesse eut beau pleurer et supplier son père, rien n’y fit…
Ewan, enchainé, fut ramené de force aux portes du royaume.
Il revint vers son oncle. Le saint homme tenta bien de le consoler mais rien n’y faisait. Ewan était à son tout touché par le " mal d’amour " !
Le jeune druide décida de se retirer de ce monde. Il partit vers les marais. Quelques paysans aux champs virent sa barque disparaitre dans la brume. Ewan n’existait plus désormais aux yeux des mortels.
Il laissa dériver longtemps sa barque. Epuisé, à bout de forces, il accostât sur une sorte d’ilot, coupa quelques roseaux et s’en fit une cabane pour la nuit. Il s’allongea à même l’herbe et s’endormit.
Quelques jours plus tard, la faim le réveilla.
Sa grande connaissance des plantes l’aida à se sustenter. Mais dans ce lieu à l’écart de toute vie humaine, vivaient des plantes sauvages qui ne poussaient qu’à cet endroit. Une sorte d’hellébore mauve odorante et envoutante attira son attention.
Son odeur lui était inconnue mais cependant familière. En fermant les yeux, il la respira profondément….Il reconnaissait ce parfum… C’était celui de Guenièvre. Plus il en respirait et plus il se rapprochait d’elle….Tant et si bien qu’au petit matin, il baignait dans un tel état de béatitude qu’il perdit conscience. C’est vers midi que la chaleur du soleil le réveilla. Lorsqu’il voulut se lever, ses jambes se dérobèrent sous lui….Quand je dis ses jambes, je devrais dire ses pattes. En quelques enjambées malhabiles, il se retrouva au bord de l’eau. En se penchant, il ne vit qu’un héron, un magnifique héron cendré….! Il regardait les plumes et ne comprenait pas. Il lui fallut un certain temps pour admettre que ce reflet dans l'eau était le sien et que pendant la nuit il s’était transformé en un magnifique héron cendré.
Après un court instant d’effondrement, Ewan envisagea les avantages, certains, qu’il pouvait tirer de cette nouvelle situation.
Il s’envola et prenant de l’altitude découvrit les alentours à plus de dix lieus à la ronde….Tout au loin, en limite d’horizon était le château de sa belle. Il revint cueillir un gros bouquet d’hellébore, autant que son bec le lui permettait et s’envola à tire d’ailes.
Le soir tombait à peine lorsqu’il arriva près du Château de Guenièvre. Il attendit que les derniers rayons du soleil disparaissent au lointain et se posa dans la cour du château. Tout le monde dormait…. tous sauf Guenièvre ! Elle se tenait à sa fenêtre, fixant l’horizon, attendant le retour de celui qu’elle aimait. Son attention se porta sur le héron qui venait tout juste de se poser. Elle le regarda, tout d’abord étonnée puis intriguée… Qu’avait-il dans le bec ? Et pourquoi lui semblait-il si familier ?
Guenièvre descendit en courant les escaliers de la tour pour rejoindre le bel oiseau. En s’approchant de lui, elle reconnut dans ses yeux cette lueur qu’elle n’avait vue nulle part ailleurs et lui dit:
- Est-ce toi Ewan qui m’envoie ce bel oiseau porteur d’un message ?
Et l’oiseau de lui répondre :
- Je suis Ewan ! ...Tout en déposant à ses pieds le bouquet d’hellébore.
La princesse ramassa les fleurs, les porta à son visage et les respira longuement et profondément… Peu à peu elle se transforma à son tour. Un fin duvet, puis des plumes remplacèrent peu à peu ses beaux habits, sa chevelure se transforma en aigrette, si bien qu’au petit matin, avant que le château ne se réveilla, ils prirent tous deux leur envol vers le marécage.
Longtemps on chercha la princesse, puis on oublia.
C’est ainsi qu’ils vécurent leur amour dans l’immortalité que procure cette plante magique.
Et si parfois, le soir de la " Saint Jean ", en traversant les marais de ce pays que l’on nomme désormais, Redon , aurez vous la chance d’apercevoir ce couple de hérons : Ewan et Guenièvre. Ils se montrent parfois à ceux qui brûlent du même amour qu’eux…...
Il ne reste que cette histoire que ce dicton :
" Gare aux fourbes qui font semblant d’aimer,
la mort les fauchera, tout raides, dans l’année ! "
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