Minuit sonna bientôt au clocher du village. Et au dernier coup, tout le monde s’endormit, tous, excepté, Hubert et Fanchon.
Les herbes magiques contenues dans la boursette faisaient bouclier contre les forces du mal. Pour Fauchon, son amour dévoué pour Jade suffisait à la protéger des perverses influences.
C’est à ce moment précis que la jeune fille ouvrit les yeux, se leva, se dirigea vers l’étagère, prit ses escarpins, et revint s’assoir sur le bord du lit. Elle ouvrit la grande armoire, en sortit une cape noir et s’y emmitoufla. Ainsi apprêtée, elle se dirigea lentement vers le centre de la chambre, poussa le guéridon, qui se trouvait là, roula le tapis et souleva une trappe….
Hubert et Fanchon la regardait faire, sans mots dire. Elle avait l’air si las et si résignée, qu’elle en faisait peine à voir.. Elle descendit les quelques marches. Une pâle lueur laissait deviner quelques silhouettes difformes…
Sans faire de bruit, Hubert, descendit à son tour. Il aperçut alors trois jeunes femmes qui s’approchaient de Jade.
Trois fées d’une immense beauté. Elles étaient impatiences et agitées. Leurs propos juraient avec le raffinement de leur allure.
- Dépêche-toi, insolente ! Les heures nous sont comptées….Les tiennent aussi maintenant….Il est venu ! Que leur as-tu raconté ? Qui est ce jeune homme ?....C’est la dernière nuit !
L’une d’elles l’attrapa méchamment par le bras et l’entraina dans ce qui semblait être une clairière souterraine. Le sol était jonché de pavés de pierres froides, les arbres anormalement figés dans une raideur surprenante. Hubert s’aperçut alors qu’ils étaient d’acier et coupants comme des épées. La lueur d’une lune factice se reflétait dans leurs branches et éclairait l’ensemble d’une lumière froide. Une musique folle, venue d’on ne sait où, envahissait peu à peu l’espace. Elle se faisait de plus en plus obsédante, entraînant bien malgré elle, notre pauvre Jade. Hubert la voyait se tordre de douleur à chacun de ses pas. Les fées, dansaient autour d’elle, enlaçant des monstres hideux aux pieds fourchus. La musique se faisait de plus en plus forte, et le rythme plus saccadé encore.
Hubert n’en pouvait plus d’un tel spectacle. Il sortit de sa cachette comme un diable de sa boite, et toujours protégé par les herbes magiques, sauta dans le cercle infernal. Il attrapa Jade, à la volée, juste à temps, avant que le décor ne s’effaçât. Elle était désormais évanouie mais en sécurité, dans ses bras.
Les fées grimaçaient, hurlaient de rage et de douleur.
Hubert les vit sous ses yeux se transformer en vieilles et laides femmes. L’une d’elles prit sa canne au pommeau d’argent, déposée dans un coin, elle rejoignit les deux autres au milieu de ce qui fut la clairière d’acier, traça rapidement un cercle autour d’elles et elles disparurent dans un éclat de rire satanique.
Hubert tenant serré sur son cœur, son cher trésor, remonta lentement les marches. Tout en haut attendait Fanchon, elle referma la trappe après leur passage, remis le tapis et le guéridon.
Le jeune marquis déposa sur le lit la demoiselle qui se réveillait doucement. Peu à peu le comte et la comtesse, les gardes et le vaillant laquais sortirent de leur torpeur.
Hubert, raconta les événements curieux à l’assemblée.
Le comte en entendant ce récit, se leva d’un bond et cria à ses gardes :
- Que l’on condamne ce sous-terrain et que l’on cadenasse cette trappe.
Une petite voix se fit entendre, celle de Fanchon.
Elle disait timidement :
- C’est inutile, les choses ne sont plus !
La comtesse prit soudain la parole :
- Tu ne sembles nullement étonnée de ce sortilège ….Et pourquoi n’as-tu pas dormi….Serais-tu aussi une sorcière ?
- Je ne suis rien de tout cela. C’est mon amour pour votre fille qui m’a protégé de ce mauvais sort. Ces femmes sont connues dans la région d’où je viens. Ce sont trois fées qui ont été condamnées à la laideur éternelle, par le Grand Tribunal des Mages pour avoir mal usé de leurs dons, dans leur jeunesse. Elles ont eu le temps, avant que le sortilège ne fasse effet de détourner la sentence. Si elles trouvent une jeune vierge obéissante, elles peuvent avec elle, danser toute la nuit, avec les plus beaux hommes du pays ….Mais la sentence s’abattit brutalement, et au lieu de beaux et jeunes cavaliers, elles se retrouvèrent à danser avec les plus laides des créatures que les forêts profondes cachent aux simples mortels. Seul l’amour pouvait briser le pouvoir des fées.
La comtesse doutait toujours des paroles de Fanchon, elle poussa elle-même le guéridon, souleva le tapis, et là …Stupeur, point n’était de trappe ni de traces de passage. Elle ordonna aux gardes de sonder le plancher avec leurs hallebardes ….
Rien n’y fit. Tout était redevenu normal.
Une chose avait cependant bien changée, une lueur brillait dans les yeux de Jade lorsque son regard croisait celui d’Hubert….
Le comte s’approcha de sa fille :
- Pourquoi n’avoir rien dit, mon enfant ?
- Je ne pouvais pas, mon cher père, elles condamneraient tous ceux que j’aime et vos propres vies étaient en jeu. Le seul qui pouvait nous sauver était Hubert et son amour….car cette nuit était la dernière du sortilège et nous étions tous condamnés à l’aube.
Le manoir retrouvant sa quiétude, s’activa bientôt aux préparatifs de la noce de l’année.
Mais très vite, la tristesse de la comtesse et du comte à la seule pensée de voir bientôt s’éloigner leur chère fille, devenait plus palpable de jour en jour.
Hubert convoqua ses architectes.
Quelques temps plus tard, l’on vit s’élever sur la rive droite de la Loire, un magnifique château, puis un pont couvert relia le manoir de l’ile et la demeure des nouveaux époux.
C’est ainsi que ce beau pays baigné par le fleuve capricieux se souvient encore du temps passé.
Mais méfiez-vous, si lors d’une promenade, vous croisez en chemin, trois vieilles et laides femmes….Si l’une d’entre elles, tient dans sa main crochue une canne au pommeau d’argent……………. Car ces trois là, sont immortelles et cherchent toujours, c’est certain, une jeune âme obéissante et pure pour réveiller le sortilège endormi.
Yvonne Delisle