(Récits et légendes)
Il est une légende en Bretagne qui court le long du Blavet, celle de Conomor, le Barbe-bleu Breton et de la douce Triphine, la fille de Varoch I, comte de Vannes.
Mais revenons quelques années en arrière
Nous sommes au VI ème siècle, vers 540, sur les terres de Cornouaille, en Armorique. Leur chef, le cruel Conomor (ou Comorrhe) tyrannisait le pays. La vie de ce barbare n’avait été qu’une longue suite de crimes, tous plus atroces les uns que les autres.
A la mort du roi Iona, mystérieusement assassiné, Conomor, trouvant une occasion détendre encore sa puissance, épousa sa veuve et déclara prendre sous sa protection, son fils Judual.
Durant quelques mois, tout se passa sans problèmes.
La reine en pleine confiance, lui avoua, un matin avoir fait un rêve.
Elle avait vu son fils trônant en haut d’une montagne et recevant les hommages de tous les seigneurs du pays, qui lui apportaient des dons et lui offraient le sceptre d’or, insigne du pouvoir royal.
C’est alors que tout changea….
Conomor, laissa soudainement éclater sa colère.
– Ce rêve signifie qu’un jour Judual sera plus puissant que moi. Je ne le supporterai jamais. Demain je lui trancherai la tête.
La mère affolée, courut réveiller son fils. Ils prirent la fuite et arrivèrent enfin au monastère où saint Lunaire les accueillit et leur offrit l’hospitalité.
Mais Conomor découvrit la cachette de la reine et obligea Lunaire à lui rendre les deux fugitifs. Le moine se contenta de lui répondre de revenir le lendemain à la troisième heure et qu’il lui montrerait l’enfant.
Le lendemain à l’heure dit, Lunaire attendit Conomor sur le jardin situé entre la mer et le monastère. Le cruel seigneur arriva avec une escorte de soldats. S’étonnant de le trouver seul, il lança arrogant :
- Moine, il faut maintenant tenir ta promesse, Je veux voir Judual !
Le moine allongeant le bras dans la direction de l’horizon montra à Conomor une large barque qui s’éloignait à pleines voiles.
- Ma promesse est tenue, tu peux le voir, debout au milieu du pont.
Le seigneur entra alors dans une colère, et frappa au visage le saint homme. Il enfonça ses éperons, si fort dans les flancs de son cheval que l’animal se cabra, renversa son cavalier et retombant sur lui, lui brisa la cuisse.
Il restera alors de longues semaines entre la vie et la mort.
Pendant ce temps Judual avait gagné la cour du roi Childebert où le rejoindra bientôt saint Lunaire.
Dès qu’il fut rétabli, Conomor sema la terreur dans la région et se mit à dos les autres seigneurs.
C’est vers 546 qu’il décida de se remarier. Un accord avec le comte de Vannes Varoch I assurait la continuité de ses plans politiques qui consistaient à unir à son profit le Pays du blé noir (la Cornouaille) et le Pays du blé blanc (le Vannetais).
On lui comptait déjà six épouses tuées de ses propres mains, lorsqu’il demanda à Varoch, comte de Vannes la main de sa fille Triphine. Ce dernier refusa tout d’abord de l’agréer pour gendre, connaissant la mauvaise réputation du demandeur. Il n’ignorait rien de l’histoire de Judual et soupçonnait fortement Conomor du meurtre de Iona. Varoch demanda à saint Gildas de Rhuis, qui se trouvait à ce moment là à l’ermitage de Castel Noec, sur les bords du Blavet, de servir d’arbitre. Conomor entra dans une violente colère menaçant de mettre à feu et à sang le Pays du blé blanc…
Ces menaces intimidèrent Gildas, qui alla demander la main de Triphine au nom de Conomor. Varoch accepta en échange de la promesse faite par Gildas de protéger sa fille.
Le mariage fut grandiose.
C’est durant la bénédiction nuptiale, Gildas remit à la jeune épousée un anneau d’argent qui devait devenir noir si son époux projetait un crime contre elle.
Les premiers mois tout se passa bien, tant et si bien qu’avant de partir à la cour de Varoch, Conomor confia à Triphine les clefs d’un caveau voisin de la chapelle, dont la porte se situait à la base de la plus haute tour de son château, le Castel Finans bordant le Blavet, à Saint-Aignan non loin de Gwerlédan.
A son retour, Conomor trouva Triphine brodant de la layette.
Joyeuse, elle lui annonça la bonne nouvelle, elle attendait un enfant ! Conomor se souvenant du rêve de la mère de Judual et d’une autre prédiction d’une sorcière lui annonçant sa propre mort par la main de son fils, quitta brutalement la pièce, sans dire un mot.
C’est alors que Triphine regarda son anneau….Il était devenu plus noir que les ailes d’un corbeau. Elle descendit à la chapelle chercher un peu de réconfort dans la prière. La porte de la chapelle jouxtait celle du caveau dans il lui avait confié la clef… Cette pièce cachait peut-être l’entrée d’un souterrain. Elle ouvrit la porte et aperçut six sarcophages. Cinq d’entre eux étaient recouverts d’une dalle, le sixième était vide.
Triphine attendit la tombée du jour dans ce caveau effrayant, lorsque les derniers rayons disparurent à l’horizon, les dalles se soulevèrent et Triphine terrorisée vit les cinq femmes de Conomor apparaitre.
- Prend garde, Conomor cherche à te tuer comme il nous a tué. Ce cercueil est pour toi, puisque tu attends comme nous, un enfant qui le châtiera un jour de tous ses méfaits…. Fuis loin d’ici.
- Mais comment pourrais-je, il ne me laissera pas retourner chez mon père…. Son féroce chien garde ma porte.
La première morte s’approchant d’elle :
-Tiens donne lui ce poison que Conomor a versé dans mon breuvage…
- Mais pour gagner le chemin…Comment descendre le long de la muraille ?
- Sers-toi de cette corde qui m’a étranglée, conseilla le seconde.
- Et qui me guidera dans la nuit noire ?
- Cette flamme qui m’a brulée fera l’affaire, enchérit la troisième.
- Mais comment pourrai-je accomplir un si long chemin ?
- Prends ce bâton qui a brisé mon front proposa la quatrième.
- Et si je ne peux plus marcher ?
- La jument blanche, à laquelle j’ai été attachée par les cheveux, te portera, ajouta la cinquième.
Grace à l’aide des fantômes, elle se décida à prendre la fuite. Elle fit ferrer son cheval à l’envers pour brouiller les pistes, mais rien n’y fit Conomor parti à ses trousses, la retrouva dans une forêt, elle se cacha dans un buisson, où le cerbère la débusqua.
C’est à ce moment que Triphine aperçut le faucon d’or de son père. Elle l’appela et lui confia sa bague. Puis elle fit ses prières.
Conomor la rejoignit. Elle était agenouillée terrifiée. Elle supplia son bourreau de l’épargner mais celui-ci sourd à ses appels, tira son glaive du fourreau et l’abattit sur la tête de celle qu’il prétendait tant aimer.
Triphine tomba parmi la bruyère dans une mare de sang.
(C’est à cet endroit précis que s’élève aujourd’hui l’église de la commune qui porte son nom.)
Sans même se retourner, Conomor regagna tranquillement Castel Finans.
Lorsque le faucon d’or déposa la bague noire dans la coupe de Varoch, celui-ci comprit le drame affreux dont sa fille était l’innocente victime.
Il fit appeler Gildas.
- Tu avais promis de protéger ma fille avec l’aide de Dieu. Tiens maintenant tes promesses et rends-la-moi.
Guidé par le Faucon d’or, Gildas arriva sur les lieux du crime.
Le corps de Triphine était encore là, baignant dans son sang. Gildas avait appris naguère de saint Iltud, les secrets de la médecine druidique…. Mais dans ce cas, la science était bien peu sans la ferveur de la prière. Après une longue et fervente prière, saint Gildas, réussit à ranimer la jeune femme.
Il la conduisit chez son père et dit à celui-ci
- Je te rends le dépôt que tu m’avais confié. Ta fille morte pour tous est bien vivante, par la grâce de Dieu. Garde-la désormais et prends soin de l’enfant qu’elle porte en son sein.
Triphine mena sa grossesse à terme mais elle mourut, cette fois pour de bon, en donnant naissance en 545 à un fils, baptisé du nom de Trech Meur (en breton grand vainqueur). Gildas, à la demande de Varoch fut chargé de son éducation.
Cette véritable résurrection eut en Bretagne un retentissement immense. Elle fit connaitre les vertus de Triphine, la sainteté de Gildas et la cruauté de Conomor.
Mais Gildas ne se pardonnait pas d’avoir livré la douce Triphine au cruel tyran. Il parcourut la Bretagne, un bourdon à la main, sonnant la cloche sur son passage, dénonçant les crimes odieux de Conomor.
Il mit trois ans à accomplir cette mission. Elle se termina par le jugement de Conomor, sur la montagne du Ménez-Bré, où une foule énorme venue des quatre coins de la Bretagne assista à sa condamnation.
Il fut excommunié, renié comme roi par son peuple, privé de tous ses droits et tous ses biens spirituels, civils et religieux…. C’était en l’année 548.
Conomor se fit quelque temps, oublier…..
Mais nous le retrouvons en 554.
La naissance de Tech Meur se rependit rapidement dans la région et Conomor en fut informé. Sur son ordre des soldats avaient recherché l’enfant. Ils ne l’avaient pas retrouvé.
Le 8 mai 554, Conomor le maudit, errait dans les bois, lorsqu’il aperçut un groupe d’enfants qui jouaient à la crosse. L’un d’eux mieux habillé, plus fort, plus habile que les autres retint son attention. Ses camarades l’appelaient Trémeur.
Il s’approcha de l’enfant, lui demandant son âge
- Je viens d’avoir 9 ans.
Après quelques réponses de l’enfant, Conomor eut la certitude qu’il était bien de fils de Triphine. Il décida immédiatement de le supprimer. Sans hésiter, il lui coupa la tête comme il l’avait déjà fait pour sa mère.
Puis il s’en alla, certain que personne ne l'avait vu .
Le petit martyre le laissa s’éloigner, puis il se releva, ramassa sa tête et la porta jusque sur le tombeau où gisait sa mère.
Le temps passa sans que Conomor ne soit puni de ses méfaits.
Mais un jour Judual revint en Bretagne et spontanément tous se mirent sous ses ordres pour venger son père, le roi Iona.
Doté d’une forte armée, Judual entra en campagne contre Conomor. Il ne fallut pas moins de trois batailles, toutes plus sanglantes les unes que les autres pour anéantir enfin le tyran.
A chaque bataille Conomor sortait vaincu, mais il réussissait à s’échapper.
La troisième cependant lui fut fatale.
Judual, finit par le rattraper et le tua d’un coup de javelot.
Le tyran s'écroula frappé à mort.
Ainsi se réalisa la prédiction.
Yvonne Delisle