(Récits et légendes)
Mamigoz raconte : Dis ! Madame, pourquoi……………..
Il y a peu de temps, je baladais mes deux petits chiens autour du lac près de la maison. Le ciel d’un bleu parfait, la douceur ambiante, tout me poussait à sortir en cette fin septembre.
Après un été un peu bancal, enfin une journée où le moindre plaisir prenait un goût de bonbon rose. Ni une, ni deux : je lançais à la cantonade : « Les chiens …Sortir ! ». De suite, les deux déboulent.
L’un mal réveillé, l’autre ébouriffé.
Après quelques aboiements et pas mal de léchouilles, je me retrouvais tel un mucher moyen…une laisse dans chaque mains, traînée pas deux mini-chiens dérapant sur les graviers de l’allée, plus pressés de sortir qu’un diable de sa boite.
Habituée à faire ce parcours, passé le petit pont, je lâche les petits.
Ils gambadent, le nez scotché à la pelouse.
Mais chose inhabituelle, tout là-bas, de l’autre côté, une petite forme, vaguement bleue ….noire, avec une pointe de rouge….
Ma première réaction : méfiance.
Je rappelle les petits, les attache… Cherche mes lunettes.
Le flou artistique se dissipe.
C’est un gamin ! ….
Mais que fait-il donc assis sur la pelouse ?
Rassurée, je détache les bouts de chiens,
ils gambadent à nouveau.
Je continue ma balade, tout en gardant un œil attentif sur ce gamin.
Visiblement, il n’a pas à sa place ici, à cette heure précise.
Mais plus je m’approche, plus son visage me devient familier.
Encore quelques mètres….
Mais oui ….C’est bien le petit Julien !
Julien qui le mercredi se promenait avec sa Mamy, il y a encore peu de temps….C’était avant !
Mais quelque chose ne va pas. Il est assis recroquevillé sur lui-même, les bras entourant ses genoux, le menton posé dessus, les yeux dans le vague, il regarde fixement l’eau à peine frémissante.
- Salut poussin !
Sans même me voir, il regarde juste par terre.
- Salut les chiens !
Vraiment pas bien le gamin ! Sans le brusquer, je m’assieds sur un banc, à quelques mètres. Il repose le menton sur ses genoux. Je regarde, curieuse, ce lac qui l’hypnotise……… Je n’avais jamais pris le temps de l’observer de si près. C’est drôle ce courant qui le traverse au milieu, faisant pencher légèrement les quelques nénuphars. Mais je suis sortie de mes pensées par Julien.
- Dis, tu es une Mamy, toi ?
Inutile de le cacher, mes cheveux blancs en disent longs.
- Oui !
Il reprend aussitôt. :
- Je te reconnais avec tes chiens, tu parlais souvent avec ma mamy ! ….
Il replonge dans son silence.
Mais c’est vrai, il y a bien 6 mois, que je ne revoie plus cette frêle et très élégante dame, promenant son caniche. Nous parlions quelque fois de ces quelques riens qui meublent les conversations.
De la pluie ou du beau temps, de nos chiens….bonjour, bonsoir ! Juste un petit signe de la main, lorsque nous n’étions pas assez proches. Et puis…mes problèmes de santé, plus de promenades…
Et en cette fin septembre, je reviens. Tout est calme.
C’est déjà un peu l’automne, et il n’y a que Julien.
Julien, triste.
Julien qui m’a dit : tu connaissais ma Mamy !
Pourquoi ce passé ?
Et tout à coup, je commence à comprendre….
Cette idée me rend mal à l’aise. Je revoie cette dame un peu pâle, toujours tirée à quatre épingles, marchant à petits pas pressés...au brushing si parfait !....Trop parfait !
J’ai raté un épisode, préoccupée par mes propres problèmes de santé, j’ai oublié que le monde continuait à tourner.
Je n’ose poser des questions, Julien garde le silence.
J’ai envie de me lever et de partir, mais je reste là, impossible de fuir. J’attends qu’il parle, qu’il se libère de ce poids.
Un long moment encore et le gamin s’approche, s’assoie près de moi, toujours silencieux. Je cherche une phrase qui servirait de déclic, un mot pour ouvrir le dialogue…Mais rien ! Je ne trouve pas. Alors, comme lui, je regarde fixement l’eau .
Intrigués de voir le gamin près de moi, les deux chiens déboulent vivement. Julien se penche pour les caresser, il sourit enfin.
- Ils sont marrants tes chiens !
- Ils sont gentils aussi !
Julien perd son sourire, se redresse, se colle au dossier du banc
Ma mamy aussi était gentille ! Tu la connaissais ?
- Oui….Un peu !
- Eh ben…Tu la verras plus parce qu’elle est morte…complètement morte !
Ce « complètement morte » presque crié, me fait mal. Je n’ose le regarder, j’ai les larmes aux yeux. Julien continue à parler, il se libère enfin de tout ce poids.
- Elle était drôlement malade…tellement qu’elle a perdu tous ses cheveux ! Moi, je l’aimais beaucoup ma mamy et maman dit que je ne la reverrai plus jamais…C’est vrai ça…Tu crois !
J’ai la gorge si serrée que je ne peux dire un mot. J’essaie d’avaler ma salive…. La cicatrice de mon opération me rappelle à l’ordre, machinalement comme pour la détendre, je passe la main dessus…. Julien me regarde faire.
- Oh ! Dis donc…Qu’est que t’as eu ?
J’ai été opérée il y a trois ans !
- De quoi ?
Là, j’hésite à répondre….
- J’étais malade…. comme ta mamy.
- Alors, pourquoi t’es pas morte, toi ?
Je ressens aussi cette injustice face à ce petit bonhomme.
C’est vrai « pourquoi » ? Pourquoi elle et pas moi ?
- Je ne sais pas, Julien, je ne sais pas !
- C’est pas juste, alors !
Nous fixons à nouveau le lac en silence.
Ce silence devient de plus en plus pesant.
Je ne sais plus depuis combien de temps nous sommes là, tous les deux, lorsque Julien me dit d’une drôle de petite voix.
- C’est bête, que je ne verrai plus jamais ma mamy !
Et là, je ne peux m’empêcher de passer mon bras autour de ses épaules :
- La voir non…ça c’est plus possible…Mais la retrouver, ça tu peux !
Julien me regarde
- Tu crois,....... et je fais quoi ?
- C’est simple ! D’abord tu vas rentrer chez toi, tes parents doivent s’inquiéter. Ce soir lorsque tu seras dans ta chambre, tu regarderas par la fenêtre, et tu te choisiras une étoile. Une belle étoile, la plus brillante de toutes les étoiles. Ta mamy est là-bas. Tu la reconnaitras facilement c’est justement celle que ton cœur aura choisi. Et tu pourras lui parler, elle t’entendra.
Il me regarde, ses yeux tout d’abord incrédules, s’écarquillent et une petite lueur les anime peu à peu.
- Tu crois que les mamys qui sont mortes habitent les étoiles ?
- Bien sûr…où veux-tu qu’elles aillent ? De là-haut, elles voient tout et entendent tout !
D’un bond, il se retrouve debout, souriant, il me prend par le cou :
- T’es une chouette de mamy, toi…
Puis il s’éloigne, s’arrête, se retourne…revient.
- Tu viens demain… ? Je te raconterai ce que ma mamy me dira !
Il repart, revient encore :
- Tu crois que ma Mamy est déjà arrivée sur son étoile !
- Oui ! J’en suis certaine….ça va plus vite qu’en fusée, tu sais !
Cette fois il repart en courant. Au bout de l’allée, il s’arrête, se retourne et dans un grand signe de la main, me crie :
- A demain ! Tu viendras ?
- Oui, promis !
- A demain alors !
Je me lève et rentre doucement………
- Pourvu que le ciel soit clair ce soir !
Yvonne Delisle